Pousser la neige devant soi
L’hiver, quand les routes de montagnes sont recouvertes d’une épaisse couche de neige, de gros engins équipés de puissants moteurs viennent la pousser devant eux, formant sur les côtés au fil des passages de hauts murs chaotiques et blancs, que l’échappement des voitures de skieurs viendra noircir tout au long de la saison, et que le printemps fera fondre et dispersera mélangée au sel répandu sur la chaussée.
Le monde de la mondialisation est un peu comme un chasse-neige : quand quelque chose “ gêne ”, la culture technique met en branle une machine qui brûle de considérables quantités d’énergie pour dégager le passage. Ce faisant il ne fait que repousser plus loin ce qui lui est un problème. Quand l’adversité lui devient trop grande, il invente une encore plus grosse machine ou rajoute une extension à l’existante qui repousse un peu plus loin le terme de l’échéance et ainsi de suite. Au bout du compte, de toutes façons, c’est ce qui reste de la nature qui absorbe ou digère les conséquences. Ce qui finit par devenir pour le coup un vrai souci, mais auquel l’industrie répond par la création d’une nouvelle génération de chasse-neige encore plus “ performante ”.
Recycler le lisier
Prenons par exemple l’élevage industriel du porc en Bretagne. L’unité de base en dessous de laquelle, ça ne vaut pas le coup de se déranger, c’est cinq mille porcs. Bien enfermés dans des cages, dans un bâtiment en amiante-ciment ondulé, au pied de gigantesque silos, ils ont tout loisir d’avaler toute la journée des granulés enrichis en médicaments pour prévenir le stress et les maladies, et en capteurs d’eau pour prendre du poids. Une caméra les surveille et aussitôt que l’un d’entre eux manifeste des signes de dysfonctionnement, l’homme qui s’occupe de la gestion de cette “ cochonnerie industrielle” s’en vient rapidement ôter son cadavre. Ce même homme, qui a droit à l’appellation d’éleveur, est propriétaire de l’emprunt au crédit agricole et de son bleu de travail. Les porcelets lui sont affectés par la même compagnie que celle qui les lui achètent quand ils sont bons pour l’abattage, qui est la même usine qui fournit les granulés et les additifs, qui est la même usine que celle qui est propriétaire de l’abattoir et des camions qui les y emmènent. Souvent cette usine appartient en bonne partie à une chaîne de supermarché, par dessus le marché. Cette organisation économique produit une bonne quantité de barquettes de “ viande ” mais beaucoup plus encore de lisier. Forcément quand cinq mille cochons défèquent et urinent, ça fait du volume et ça encombre les bronches. Cependant l’usine qui produit les graines et tout le reste n’aurait pas grand bénéfice s’il n’y avait que quelques élevages de porcs sur toute la Bretagne. Il y a donc des centaines et des centaines de ces unités industrielles de cochonnage qui un peu partout fabriquent du lisier et aussi de la nourriture. Le sol là-bas, c’est du granit avec une toute petite couche de terre par dessus, alors question absorption, les Bretons ne sont pas vernis. Ceux qui en doutent peuvent tester la capacité d’absorption des éponges en Granit, ils comprendront vite ce qu’est un calvaire breton. Il arrive en fin de compte que la terre, les cours d’eau, les nappes phréatiques et les cellules nasales des Bretons saturées hurlent à la cessation de Toutaliment. Heureusement, l’été interdit la dispersion du lisier ce qui retient les vapeurs ammoniacales jusqu’au 1er septembre. Il ne faudrait pas que les touristes urbains qui visitent la Bretagne en juillet et août se rendent compte de l’ampleur des dégâts, ils en viendraient à émettre des doutes sur la qualité de l’alimentation industrielle qu’on leur sert tout au long de l’année dans leur supermarché ou à la cantine.
Dans cette situation merdeuse, il fallait faire quelque chose. Un illustre génie qui a réussi à convaincre des banques et des syndicats de cochonneurs, vient d’avoir l’idée phénoménale d’inventer le recyclage du lisier en engrais ! Cool ! Il prend trois cent mille tonnes de lisier chaque année, cent mille tonne d’acide sulfurique et trente mille tonnes de je ne sais quoi encore et en ressort de quoi compenser le manque à produire de l’usine Grande Paroisse AZF de Toulouse qui comme chacun sait, a cessé sa production à la suite du 21 septembre. Quelques millions d’euros pour bâtir une grosse usine dans la banlieue nord de Brest, à Milizac et c’est parti pour un tour dans la modernité. Là où cela commence à devenir stupéfiant, c’est quand on remarque que le lisier, très riche en ammoniaque, épandu directement, est un “ engrais ” déjà avant de passer à l’usine de transformation en “ engrais ” ! Prendre de l’engrais et le transformer en engrais en dépensant beaucoup d’énergie et en ajoutant de considérables quantités de produits chimiques, voilà bien une extraordinaire performance !
A l’autre bout de la chaîne, si l’on se penche sur la question de la rentabilité purement marchande, on peut noter que les agriculteurs bretons ne vont certainement pas acheter du lisier de cochon même déguisés en granulés blancs. Ils en ont déjà plein leur citerne, plein leurs porcheries, plein leur eau du robinet ou plein leur champs et s’ils sont prêts à payer, c’est pour s’en débarrasser, pas pour en remplir leur hangar. Et de toutes façons les champs de Bretagne sont déjà en overdose d’ammonitrate. Des esprits chagrins verront dans cette opération de Milizac soutenue par une partie des institutions publiques de l’état une machine à subventions. D’autres parleront plutôt de relookage de déchets. Auront-ils tort ?
Sur le territoire français dans son ensemble, les nitrates se retrouvent pour plus du tiers du tonnage épandu dans les cours d’eau et les nappes phréatiques. La quantité annuelle produite par AZF Grande Paroisse à Toulouse représentait la moitié de ce trop versé. Sa fermeture est plutôt une mesure salutaire pour la qualité de l’environnement. Pas l’ouverture de l’usine de retraitement du lisier de Milizac. On peut même se demander si du lisier plein d’antibiotique est encore un engrais, peut-on faire aussi de l’engrais contenant des herbicides ? !
Si cette usine produit un jour, elle enverra son granulé un peu partout en France. Comme elle est proche d’un grand port, elle l’enverra un peu partout de par le monde. Ce sont par conséquent des dizaines de camions qui disperseront chaque jour le lisier de cochons, relooké de blanc sur les routes heureuses du beau paysage de France. Ce joli manège continuera de sursaturer les nappes phréatiques mais plus loin, et permettra comme depuis longtemps à la Vivendi de vendre du retraitement des eaux, à Volvic de vendre ses bouteilles plastiques pleines d’eau sans lisier, aux laboratoires pharmaceutiques de continuer à vendre des antibiotiques aux cochons et des anti-gastroentérites aux buveurs d’eau du robinet, et à de très nombreux camions qui s’occupent de retraitement, d’eaux minérales et de médicaments de circuler dans tous les sens pour transporter tout ça.
Pour se nourrir au lendemain de la dernière guerre, il fallait inventer l’élevage intensif, soit. Mais par conséquence, nous avons aujourd’hui une quantité trop importante de neige-lisier à un endroit. Le tas déblayé par le chasse-neige est si important que la nature n’arrive plus à le fondre d’un hiver sur l’autre. Comme ça nous gêne, alors nous le déguisons et le vendons au loin.....
Fabriquer la dernière carpe
Il y a en Australie une carpe, introduite depuis un siècle qui a totalement proliféré et dont les Australiens cherchent à se débarrasser parce qu’elle est en train de dévorer disent-ils toute la biodiversité dans les rivières. Quelqu’un a eu l’idée géniale de penser à la manipulation génétique pour résoudre la question. Il suffit d’introduire un gène qui ne donne naissance qu’aux carpes d’un seul sexe et l’espèce est sur la voie de sa fin. Super. Et d’ailleurs, il y a un antécédent. Les Australiens ont eu un problème de surpopulation de lapins au vingtième siècle, introduits eux aussi par les colons européens, qu’ils ont réglé en inventant la myxomatose, idée géniale et efficace entre toutes puisque la myxo a envahi les cinq continents mais que les lapins prolifèrent toujours en Australie. Forts de cette leçon de l’histoire, les savants fous du monde industriel nous refont le même coup avec la carpe. Comme d’habitude, cette guerre est la guerre pour tuer la guerre. Sans se demander si le gène sensé bloquer la naissance de carpes femelles ne va pas envahir la planète !
Chercher le travail.
Nous consommons en France environ 250 (deux cent cinquante) millions de Tonnes d’Equivalent Pétrole (TEP) par an. Ce total additionne l’énergie sous toutes ses formes que ce soit du pétrole, du gaz, du charbon, de l’électricité etc. Il nous sert à faire tourner des machines ou des fours, à nous chauffer, à nous déplacer, nous éclairer ou à constituer la matière première de fabrication de matériaux chimiques.
Nous sommes à peu près 25 (vingt cinq) millions d’actifs reconnus par l’économie marchande qui brassons sous une forme ou sous une autre ces deux cent cinquante millions de TEP. Le résultat de notre emploi est un bien ou un service, qui contient notre savoir faire, notre énergie musculaire et l’énergie des TEP. Les dix TEP par emploi et par an que nous utilisons, c’est à dire les deux cent cinquante millions de TEP divisés par vingt cinq millions d’emplois, mettent à notre disposition une capacité de travail de 400 (quatre cents) gigajoule par actif. Le gigajoule est un milliard de fois le joule, unité de mesure des trois denrées équivalentes que sont le travail physique, l’énergie et la quantité de chaleur. Pour les plus musculaires ou physiques de nos emplois comme sportifs professionnels, terrassiers manuels, agriculteurs non mécanisés, forgerons ringards, maçons archaïques et peut-être quelques autres activités encore, la capacité de travail musculaire est, pour un emploi à plein temps, de 2 (deux) gigajoule, travail mis à disposition pour une année entière.
Dans le total de la production marchande de notre pays, il y a donc une échelle de 1 à 200 (un à deux cents) environ c’est à dire deux pour quatre cents gigajoules, entre notre apport de travail en énergie musculaire et l’apport des énergies industrielles. Ce qui concrètement signifie que pour 99,5 % (quatre vingt dix neuf et demi pour cent) les biens et les services que nous utilisons sont dépendants de la fourniture d’énergie comme le gaz, le pétrole, ou l’électricité et pour 0,5 % (un demi pour cent) seulement de notre effort physique. Et cet apport d’un demi pour cent ne vaut que pour les activités très physiques décrites au-dessus. La plupart des activités professionnelles de nos jours se limitent à diriger les machines qui, elles, consomment et transforment l’énergie. Les agriculteurs, les maçons, les forgerons ou les terrassiers utilisent actuellement beaucoup de machines, travaillent moins de façon musculaire. De ce fait, le rapport entre les énergies industrielles et les énergies musculaires est sans doute inférieur à un quart pour cent sur l’ensemble de l’économie marchande en France.
En face de cet aspect du travail, il faut s’intéresser à la production non marchande, celle qui est de l’ordre du bénévolat comme la préparation de nourriture, le ménage ou l’éducation des enfants, activités éminemment familiales, produites presque exclusivement par les femmes et qui ne sont pas comptabilisées dans le Produit Intérieur Brut, ne participent pas aux statistiques sur l’emploi mais qui restent d’une extrême importance pour la vie. Il y a fort à parier que ce type de travail met en jeu une énergie physique non négligeable par exemple en lavant le sol, en allant acheter et en préparant la nourriture, en soignant les jeunes enfants, ou en entretenant la propreté des personnes âgées. Il n’est pas impossible que le total du travail physique domestique, d’ailleurs non dénué de savoir faire là aussi, soit à peu près l’équivalent du travail physique de l’emploi marchand : faire les lits des enfants, le matin à la maison doit bien être aussi physiquement éprouvant que taper à l’ordinateur dans une entreprise toute la journée.
Ce qui revient à dire que 99,5 % (quatre vingt dix neuf et demi pour cent) des biens et services que nous consommons sont de l’énergie industrielle, 0,25 % (zéro un quart pour cent) est du travail physique dénommé “ emploi ” plus ou moins bien rémunéré et 0,25% (un autre zéro un quart pour cent) est du travail physique du domaine de l’économie familiale et non rémunéré. Notre dépendance à la fourniture d’énergie industrielle est totale, comme pourrait le dire Desmarets, et la maîtrise de nos approvisionnements est vitale comme nous le rappellent tous les jours les sinistres Georges Bush quand il parle de Saddam Hussein et Oussama Ben Laden quand il se pare du costume de défenseur du monde opprimé.
Toute notre vie passe par nos chasse-neige même lors des tempêtes du désert. Ou allons-nous comme ça ?
Décompacter la terre Une bonne illustration peut-être trouvée dans l’agriculture. Tout au long des dix-huitième, dix-neuvième et la première moitié du vingtième siècle, les métayers des campagnes toulousaines, connues comme les greniers à blé de la France, travaillaient la terre sur une unité économique de base, dénommé dans les contrats de métayage, le bové. En moyenne, douze hectares cultivables, une habitation, une famille, une vache ou un bœuf (d’ou le nom). Le rendement avoisinait les quinze quintaux de blé à l’hectare les meilleures années. Une famille dont on peut estimer le nombre d’actifs au travail à quatre personnes assurait bon an mal an la conservation de la fertilité de la terre et la survie de ses membres dans des conditions économiques plutôt rudes, entièrement encadrées par les propriétaires rentiers. Au final, quatre actifs produisaient à peu près 200 (deux cents) quintaux chaque récolte, soit 50 (cinquante) quintaux par an et par actif. Ce résultat est général dans le sud ouest jusqu’en 1939. En 2002, un agriculteur des campagnes toulousaines travaille avec son tracteur, ses engrais, et ses intrants, 150 (cent cinquante) hectares et a des rendements de 70 (soixante dix) quintaux à l’hectare. Il remplit durant l’été les silos et les camions de 10 000 (dix mille) quintaux de blé. Il est le seul actif de l’exploitation. Il produit 10 000 (dix mille) quintaux par an et par actif.
Le progrès nous a fait passer de cinquante quintaux par an et par emploi à dix mille quintaux par an et par emploi. L’agriculture comme les petits pains s’est multipliée par 200 (deux cents). Et les cent quatre vingt dix-neuf d’accroissement sur deux cents, c’est l’énergie de l’industrie, engins, engrais, herbicide, semences sélectionnées, transport et autres, qui les fournissent. Ce qui est bien l’ordre de grandeur des rapports du chapitre précédent sur l’énergie.
Et le plus étonnant dans tout cela, c’est que depuis que les agriculteurs labourent au tracteur, et “ engraissent ” à l’ammonitrate, la fertilité des terres a considérablement diminué. Beaucoup de raisons à cela, liées à l’utilisation de produits chimiques bien sûr, mais aussi liées au fait que retourner la terre produit deux effets nocifs pour la vie des sols : d’abord faire passer des micro-organismes anaèrobies d’un lieu presque sans oxygène à 30 cm de profondeur sous terre, et les amener à la surface et donc au plein air, les exterminent assez irrémédiablement. Il est vrai que dans la civilisation du chasse-neige, ce n’est pas la fertilité de la terre qui importe mais la quantité que l’on en retourne. Et surtout parce que la superficie de la terre à force de passages répétés, se compacte petit à petit. Il s’en suit étonnamment une lente mais inexorable augmentation de la puissance des moteurs des tracteurs ! Le chasse-neige roule sur la neige et finit à force de passage par la rendre de plus en plus résistante. Il suffit d’augmenter la puissance de l’engin , rétorque la technologie industrielle !
Arrêter de polluer l’air
Depuis quelques années la teneur en palladium et en cadmium des terres agricoles européennes et américaines augmente. Il semble que la proximité des grandes voies de communication routières ou des grandes agglomérations soit un critère déterminant de la teneur en métaux lourds. Il semble aussi que la rénovation du parc automobile accentue encore cette concentration. En fait, il semble à peu près assuré que la diffusion des pots catalytiques et leur rejet de palladium et de cadmium soit un des facteurs majeurs de cette métallisation des terres.
Le chasse-neige équipé de pots catalytiques pousse la neige et pulvérise du métal autour de lui. Les gouttelettes retombent sous forme de flocons métallisés. C’est joli. La situation est grandement améliorée depuis autrefois.
Disperser notre caca :
Depuis un peu plus d’un siècle la France a découvert l’eau courante à tous les étages ! Quoique l’on puisse penser de cette invention, il faut bien que cette eau une fois “ usée ”, reparte quelque part. Nous avons donc repris une idée développée, il y a cinquante siècles dans la vallée de l’Indus, le tout-à-l’égoût. Comme pour beaucoup d’entre nous cette eau sale est une eau qui risque de salir une eau propre pour quelqu’un qui la boit plus bas, il faut la nettoyer. Le problème, ce qui gêne et qui pour le coup gène vraiment, c’est que les salissures sont d’ordres très différents : Il y a des urines et des défécations humaines, dont certaines sont porteuses de maladies, souvent accompagnées d’antibiotiques, il y a des produits chimiques de lavage de la vaisselle, du corps ou du linge, matières autorisées en général, plus quelques substances chimiques dérivées du pétrole par exemple et ayant servi à nettoyer les pinceaux quand on a fait la peinture de la chambre ou contenues dans le linge lavé des mécaniciens automobiles ou des peintres en bâtiment, sans compter quelques indélicatesses de vidange de vieux bidons d’herbicides ou d’insecticides, matières nettement moins autorisées dans les collectes d’eaux usées. Se trouvent aussi quelques résidus radioactifs issus de l’utilisation de plus en plus répandue de sources radioactives dans les hôpitaux ou dans l’industrie. Pour tenter de neutraliser les effets nauséabonds de ce grand mélange, nous avons inventé la “ station d’épuration à boues activées ”, sorte de grosse machine à laver l’eau qui paraît-il accélère la digestion par les micro-organismes des éléments indésirables. Toutes les villes et villages de France en sont équipées ou en passe de l’être même si toutes les habitations n’y sont pas encore raccordées. Ce traitement des eaux est une première opération, il ne fait qu’accélérer une série de réactions biologiques, il faut le prolonger. Les boues “ digérées ” et séchées, souvent jetées en décharge, sont obligatoirement suivi de nos jours d’un traitement ou un recyclage. Depuis 1999, il est interdit de les mélanger aux farines destinées à l’alimentation des animaux en France. Les fournisseurs de retraitement tentent maintenant de les reconvertir en engrais (mais que faire des composés d’hydrocarbure, des métaux lourds et des radioéléments ?) ou de les brûler, (mais comment tenir les engagements de réduction des gaz à effets de serre ou éviter les récriminations des voisins d’incinérateurs qui n’apprécient guère la dioxine ?). Les trois grasses, monopole concerté de la distribution et retraitement de l’eau, c’est à dire Vivendi, Suez-Lyonnaise et Bouyghes, sont sur le front de la modernité en proposant de l’épandage ici et de l’incinération là. Les deux stratégies ne sont pas sans inconvénients. On parle donc de super incinérateur qui récupère tous les métaux lourds ou d’épandage spécialisé qui nourrirait des plantes spécifiques connues pour leur capacité à piéger les métaux et qu’on récolterait et recyclerait dans des filières prévues pour ça.
Brasser les eaux usées pour les rendre plus digestes par l’environnement amène à récolter beaucoup de choses de natures différentes et à rendre la digestion finale inefficace pour ne pas dire impossible, c’est pourquoi, il faut ajouter aux premières solutions une suite tout aussi technologique et payante. Le premier chasse-neige a besoin d’une rallonge. Nos experts se penchent sur les idées nouvelles. La prochaine génération de chasse-neige, grâce au progrès technique et à “ l’intelligence des hommes ” apportera la solution.
Alors, vous voulez retourner au moyen-âge !
Nous sommes sur la planète terre un petit cinquième de la population, membres de la civilisation du chasse-neige, à consommer plus des quatre cinquièmes des stocks de gâteaux d’énergie qui étaient prêts dans les étagères de la nature quand nous sommes arrivés. S’il y a du gâteau, c’est parce que beaucoup de ceux qui ont faim maintenant n’ont pas les moyens financiers de s’approcher des étagères pour leur mettre la main dessus et c’est aussi parce que les milliers de générations qui nous ont précédé n’y ont pas touché ou à peine.
“ Retourner au moyen-âge ? ”
Tout d’abord, la question ne se pose que pour le cinquième repu de la population mondiale qui garde violemment la mainmise sur les stocks de pétrole et d’uranium. Ceux qui s’en occupent passent à la télévision tous les jours. Pour les quatre autres cinquièmes, la question, c’est plutôt “ comment en sortir, du moyen-âge ? ” Si le Mali, ou le Cambodge, avaient dès le quinzième siècle mis le monde et les hommes en coupe réglée en épuisant les ressources en énergie, en captant le fleuve de muscles humains par l’esclavage, et en provoquant les actuels dérèglements climatiques, nous ne serions par forcément opposés à leur retour au moyen-âge.
Au Mali aujourd’hui, les humains consomment 21 (vingt et un) kilogrammes d’équivalent pétrole par an et par personne. En France nous en sommes à 4 (quatre) tonnes soit 200 (deux cents) fois plus. Si l’on veut bien admettre que l’équité ça peut être qu’un-e Malien-ne consomme autant qu’un-e Français-e ou tout-e autre être humain-e sur terre, il nous faudrait nous retrouver vers cinq cents kilos d’équivalent pétrole par an et par personne au Mali comme en France, le huitième de notre consommation actuelle. Bien sûr, ça n’est pas rien, mais c’est ce que nous consommions en France dans les années du front populaire, années qui ne font plus officiellement partie du moyen-âge.
Ensuite, brûler ses réserves n’est qu’un demi problème. C’est l’amont. L’autre demi problème, et c’est l’aval, ce sont les conséquences lointaines et généralisées du brûlage des réserves : les pollutions, l’effet de serre, les maladies, les atteintes au paysage, les chocs culturels, l’abandon des campagnes, la pression économique.... Partout. En fin, la réponse demande de grandes précautions oratoires. Les enjeux sont tels qu’une réponse immédiate et généralisée peut aboutir à des conséquences dramatiques pour les tenants de l’affirmative. La question est détonnante. Des intérêts économiques majeurs sont sur le grill. Au point de dépendance ou nous sommes, la pénurie est pire que la guerre. A chaque grève des camionneurs, on nous rapporte des incidents dans les stations service. Là aussi avec de très puissants pourvoyeurs et de très dépendants consommateurs, les porteurs d’enjeux sont nombreux et efficaces, et violents.
En la regardant avec froideur, à l’évidence, la civilisation du chasse-neige est une impasse. En sortir demandera du temps, alors qu’il y a urgence. Elle exigera du discernement, or c’est la télévision qui s’occupe de le distribuer. Elle nécessitera de la concertation, et la démocratie qu’on nous vend refuse toujours d’en connaître la consistance. L’angoissante peur du manque de certains et l’effrayante avidité de certains autres rempliront encore longtemps les colonnes de journaux de faits d’hiver. Histoire de justifier le devoir de respect et de reconnaissance pour les chasse-neige.
Alain Marcom 28/08/02
Post scriptum 1 : Depuis le 27 septembre le préfet du Finistère a renoncé, officiellement, à la construction de l’usine de lisier de Milizac.
Post scriptum 2 : les chiffres concernant les consommations de TEP sont issus du ministère de l’industrie, les statistiques sur les actifs de l’Insee.
Post scriptum 3 : les chiffres de productivité agricole au 18 ème siècle et jusqu’à nos jours sont extraits de “ Les Campagnes Toulousaines ”, thèse de doctorat en géographie de Roger Brunet, en 1965. Les chiffres de productivité agricole du 21 ème siècle sont extraits de conversation avec des agriculteurs et des agronomes contemporains.