Recherche avancée

Vêtu de lin blanc et de probité candide

Publié le 17 janvier 2006, mise à jour le 25 novembre 2008
par Pierre Besse

Ce texte a été rédigé par Pierre Besse au cours d’échanges de mails entre membres d’ARESO, à partir d’une réflexion autour de la laine de coton comme isolant pour l’habitat. Coton or not coton ? Le coton, même bio, mérite-t-il son image de produit naturel ou écolo ? Les fibres textiles doivent-elles être réservées à l’habillement et des matières moins nobles utilisées pour l’isolation de l’habitat ?

JPEG - 24 ko
fleur de lin

Derrière ma maison pousse une herbe étrange, tout en tige, avec des feuilles minuscules et une petite fleur bleue qui est un éclat de ciel sur la terre. C’est ma mère qui m’a appris son nom, il y a bien longtemps : le lin.

J’aurais aimé n’être vêtu que de lin, de ma naissance à ma mort, et même après.

C’est râpé.

Je persiste à penser tout le mal possible des textiles synthétiques, pour des raisons que je n’ai peut-être pas besoin d’exposer ici, mais aussi de plus en plus des fibres naturelles quand elles viennent de ces autres mondes que sont les pays tropicaux, pauvres, lointains, émergents, les moins avancés et autres. Je supporte de moins en moins l’idée que non contents de piller le pétrole et les minéraux de toutes sortes qui dorment chez eux, on confisque leur terre et on les réduise à des formes plus ou moins sévère d’esclavage pour satisfaire notre soif de textiles naturels, fussent-ils bio. C’est sûr qu’en plus de les priver de leur ressources et de les exploiter, c’est mieux de pas les empoisonner, mais ça ne suffit pas, tout de même.

Outre le lin, on filait et on tissait une plante importée d’orient mais parfaitement acclimatée, le chanvre. Encore aujourd’hui, cette plante se cultive chez nous facilement sans engrais ni poison, au contraire, elle étouffe les adventices et bonifie le sol.

JPEG - 37.2 ko
champ de chanvre

Outre le lin et le chanvre, on tirait de la fibre textile de quantité de plantes, ortie, tilleul, mûrier, etc. Rien de plus facile, si on le voulait, que de refaire pousser nos textiles bio chez nous. Seulement il faudrait quand même payer un peu les paysans et la main-d’œuvre des filatures, alors que là-bas les terres sont gratos et le travail aussi. C’est pour cette unique raison - gratuité de tout chez les pauvres - qu’on a abandonné ici le pastel voici quelques siècles, la soie, et des pans entiers de l’économie agricole de nos pays. C’est pour cette unique raison que le tiers des terres cultivées dans l’autre monde portent des cultures dites d’exportation, c’est à dire sont ni plus ni moins confisquées.

JPEG - 40.2 ko
feuilles de tilleul

Une fois une amie à moi est revenue d’Ouzbekistan. J’ai alors appris comment toute la terre irrigable, entre le Sir Daria et l’Amour Daria, était réservée au coton, comment toute l’eau disponible dans ces fleuves qui alimentaient la mer d’Aral alimente aujourd’hui les champs de coton. J’ai appris comment les ex-présidents de kolkhozes sont aujourd’hui de véritables seigneurs, à qui les paysans doivent les deux-tiers de leur récolte à titre de loyer de la terre, entendu que le dernier tiers, ils sont obligés de le lui vendre puisqu’il est le seul acheteur. Comment le président en question leur interdit de semer le moindre carré de légumes derrière leur maison, il faudrait les arroser, il est exclu de gaspiller de l’eau à ça.

Avec toutes les variantes possibles, ce tableau social est partout le même de la Terre de Feu à la Sibérie.

On peut tirer de la fibre du bambou, soit. Mais alors si on veut s’habiller en bambou, qu’on en plante ici. J’en ai planté chez moi, je certifie que ça pousse.

Je ne voit pas d’inconvénient à ce qu’un peu d’or, d’encens et de myrrhe voyage d’un continent à l’autre, à dos de chameau, mais un peu seulement, pour le privilège des princes. Tout le reste doit reposer sur les ressources et le travail local, point. C’est la raison pour laquelle je ne veux ni du bambou textile, ni du coton, bio ou pas. Même si son impact environnemental était acceptable, j’estime superflu de payer un billet d’avion à un flic pour aller vérifier, et j’estime que l’impact politique et social est démesuré, ce que des millions de voix paysannes ne cessent de clamer, même s’il faut un peu tendre l’oreille, ici, pour les entendre.

Pierre Besse, 10 janvier 2006


calle
calle
calle