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De l’intérêt du patrimoine modeste

Publié le 4 mai 2007, mise à jour le 12 janvier 2009
par Alain Marcom

Le « patrimoine bâti modeste », aussi appelé « petit patrimoine », longtemps invisible, apparaît désormais comme une richesse, à la rencontre de préoccupations très contemporaines : il respecte l’environnement, il est porteur de sens, et il est l’objet d’une activité économique directe croissante.

Actualité économique du bâti ancien

Une partie non négligeable de l’activité économique du bâtiment s’exécute dans l’existant. Celui-ci comprend le bâti récent, construit au vingtième siècle dans les balbutiements plus ou moins confirmés de la normalisation, ainsi que l’ancien, voire le très ancien, construit selon des procédés authentiquement traditionnels, avec des matériaux de proximité, organisés autour de savoir faire tamisés par l’épreuve du temps. Tout ceci existait bien avant l’industrialisation des modes constructifs, à un moment où les villes étaient encore à la campagne. Le souhait contemporain, de disposer, dans ce cadre ancien, d’une habitation confortable selon les critères minimaux de chauffage, d’éclairement, de facilité d’entretien, ou d’isolation performante, amène l’ouverture de nombreux chantiers et en toute légitimité. La demande des maîtres d’ouvrage est importante et croît de jour en jour, grâce à la prise en compte des différentes valeurs du patrimoine par les décideurs, mais aussi grâce aux possibilités de crédit. Rénover et adapter le bâti ancien aux exigences actuelles de confort et d’économie d’énergie en respectant le construit d’origine constitue un objectif désormais primordial pour ces maîtres d’ouvrage.

Respect de l’environnement et des humains

Les matériaux autrefois utilisés se trouvaient très souvent à proximité du bâtiment pour d’évidentes raisons de coût de transport et de puisement. Ils étaient une ressource disponible sans transformation mécanique ou thermique, dans l’environnement immédiat. Terre, pierre, bois ne nécessitaient que du façonnage sur chantier.

Plâtre, chaux ou terre cuite, responsables d’un impact environnemental plus consistant, étaient les seuls points négatifs dans ce bilan. Mais ils étaient employés avec parcimonie, dans des usages précis et restreints. La santé des usagers de ces bâtiments n’était nullement menacés par la présence d’adjuvants de synthèse ou par le confinement de l’air pollué. D’ailleurs, la canicule de 2003 l’a bien montré. Elle a été particulièrement meurtrière dans la moitié nord de la France et en ville, là où les procédés constructifs anciens ou nouveaux ne prenaient pas en compte ce genre d’événements climatiques. Dans le sud et à la campagne, là où de nombreuses personnes vivent dans des maisons en pierre ou en terre, et où les bâtisseurs connaissent de longue date l’impérieuse nécessité de la protection contre le chaud, la canicule a été beaucoup moins assassine. L’on peut voir par l’impact de ce terrible événement que certaines caractéristiques discrètes du patrimoine participent activement à la protection de la santé des ses habitants. Mais l’on pourrait sans doute faire des constats équivalents en ce qui concerne l’absence d’émanations des composants chimiques des adjuvants des matériaux modernes tels que les traitements de bois, les colles et les résines des revêtements de sols, les peintures récentes, les fibres, ou les produits d’entretien qui ne font pas partie des éléments originels du patrimoine modeste. La nature des matériaux du petit patrimoine autant que les cultures constructives du passé ont une dimension sanitaire et écologique indéniable que les procédés industriels auront bien de la peine à égaler.

Identité culturelle et professionnelle

La profondeur culturelle et historique de nos constructions anciennes, que l’on pourrait qualifier de document authentique du passé, permet aussi de mettre en perspective le cheminement de notre monde. Pour celles et ceux qui sont intéressés à la réponse, le petit patrimoine nous raconte d’où nous venons. Il émeut par la force de sa sérénité. Son intégration harmonieuse dans le site, son esthétique, sa pertinence à s’adapter aux défis de la modernité, comme la durabilité matérielle de son art de construire, nous contraignent à admettre que les bâtisseurs d’autrefois savaient tirer parti très intelligemment des ressources que leur livrait leur environnement. Beaucoup mieux, en somme, que nous ne savons le faire aujourd’hui, puisqu’ils ne disposaient pas de nos considérables moyens mécaniques. En 2007, pour une petite partie des ouvriers du bâtiment, les savoir faire du patrimoine sont devenus des éléments structurants de leur métier, et ils sont également devenus des objets culturels, des témoignages à préserver et à transmettre. Les ouvriers connaisseurs du patrimoine bénéficient dans le public et dans leur profession d’une gratifiante image d’authentiques ouvriers, parce que leur tache s’exerce avec plus de réflexion, de culture, de maîtrise. Ceci contribue sans doute au fait que les jeunes, qui ne prennent plus un emploi dans le bâtiment conventionnel que comme un temporaire pis aller économique, sont souvent beaucoup plus motivés pour se diriger vers le patrimoine, qu’il soit modeste et rural ou monumental. Cet intérêt, récemment apparu, est un indicateur très encourageant de la valeur sociétale du secteur du bâtiment lié au patrimoine ou respectueux de l’environnement. La construction enracinée dans l’histoire et tournée vers les enjeux environnementaux du futur peut sans aucun doute être un très fertile moyen pour beaucoup de jeunes de « trouver sa place dans le monde » pour les années qui viennent.

Mais si le patrimoine est fort de tout ceci quel est donc le problème ?

Le problème est que cette forte richesse reste fragile et menacée par le cadre économique et réglementaire.

Confusion

Le rouleau compresseur économique et réglementaire des modes de construction industrialisés ne prend pas garde aux spécificités des procédés anciens. Et pourtant, il y a péril à mêler sans discernement, des matériaux et des techniques qui ont des comportements différents lors des variations thermiques ou hygrométriques. Le rajout de terre dans un enduit industriel prêt à l’emploi, ou la confection d’une poutre ferraillée au béton de chaux sont tout aussi toxiques que les enduits extérieurs fortement cimentés sur des murs de torchis, ou des chaînages en béton armé dans des murs d’adobe. Et si de telles aberrations se produisent, ce n’est par défaut de capacité intellectuelle des ouvriers, des entrepreneurs, des architectes ou des maîtres d’ouvrage, mais bien plutôt par une lacune immense : le patrimoine monumental est enseigné dans quelques rares lieux spécialisés, mais le petit patrimoine ne bénéficie même pas de ce strict minimum. Cette quasi-absence de transmission et de diffusion de savoir est souvent fatale au modeste patrimoine rural.

Crainte et timidité

Le problème s’aggrave lorsque l’on constate que ce silence se prolonge dans la réglementation. La confusion règne dans les textes. Les décideurs, les concepteurs, les entreprises se conforment souvent à une prudence résignée. Les relations des acteurs avec leurs assureurs sont floues. Parmi les « techniques non courantes », il est difficile de séparer ce qui relève de la tradition et de ce qui n’en relève pas. Comment les assureurs, les entreprises, les concepteurs peuvent-ils être certains d’être d’accord sur les procédés authentiquement du patrimoine alors que l’inventaire fin n’en a pas été fait et que ces techniques ne sont décrites dans aucun document officiel ou consensuel ? L’orientation gênante de ce flou s’accentue encore pendant la lecture des dossiers de consultation des entreprises lors d’une demande d’offre de prix par un maître d’œuvre. L’intérêt écologique de ces techniques qui peuvent abonder une catégorie de propositions fiables et pertinentes pour des constructions neuves, y compris pour des bâtiments publics, ne parvient pas à s’exprimer pour des raisons qui n’ont rien de techniques. Alors que ces savoir faire traditionnels et modestes ont vocation à constituer une part importante de la panoplie du savoir faire constructif d’un professionnel aguerri du vingt et unième siècle, ils restent inemployés, stériles, inutiles dans quelques caisses à outils. Alors qu’ils sont susceptibles de fournir des solutions intelligentes pour l’avenir, ils sont en voie de disparition dans nos contrées.

Discontinuité de la transmission

Cette brume réglementaire, qui fait « bouchon » économique, par voie de conséquence, porte ombrage néfaste sur la formation initiale des ouvriers du bâtiment. En effet, si ces techniques n’existent pas sur le papier, qu’elles sont confidentielles sur les chantiers, qu’elles sont donc rares dans leur application, elles ne sont généralement pas inscrites dans les programmes de formation. Elles ne sont en conséquence pas enseignées. Depuis deux générations, la transmission « familiale » ou « de proximité » ne se fait quasiment plus. Au bout de cet enchaînement fatidique, nous nous trouvons dans une situation paradoxale : la demande existe très fortement, et de plus en plus fortement, les enjeux environementaux se font plus pressants, et de plus en plus pressants, les entreprises en ont conscience parce qu’elles y sont confrontées, mais la qualification de leurs salariés n’est souvent pas pertinente et le cadre réglementaire aventureux. Comment faire une offre de prix dans de telles conditions ? Le marché existe bel et bien, mais peu d’entreprises sont suffisamment téméraires pour y répondre en l’absence de lumière réglementaire. Et les dégâts environnementaux s’affirment chaque jour un peu plus autour de nous... « La maison brûle mais nous regardons ailleurs » !

Un moyen pour une solution

Il existe quelques entreprises, associations, concepteurs ou institutions qui détiennent une partie de ces savoir, ou qui sont en capacité de les valider.

Si les différents professionnels porteurs d’une culture bienveillante pour le patrimoine, se réunissaient en un atelier de travail et coopéraient pour faire avancer la réglementation, la diffusion des bons procédés, la pratique des chantiers respectueuses du patrimoine, la formation initiale et continue, ainsi que la transmission des savoir entre professionnels, il est fort probable que le futur de nos anciennes bâtisses serait dégagé de ses plus sombres menaces. La société des prochaines générations verrait également son environnement, son économie, la santé mentale et physique de ses membres, son capital de savoir faire, ainsi que sa vivacité culturelle, améliorées.

Le 20 mars 2007 Alain Marcom

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