Ce principe a émergé en réponse aux grandes crises industrielles et sanitaires des années 80 et 90 : affaires de l’amiante, de la vache folle, hormone de croissance.... Le principe de précaution répond donc aux « ratés » du principe de la prévention :
Le principe de prévention doit être mis en oeuvre lorsque l’existence du risque est acquise, même si on ne mesure pas ou mal l’ampleur des dommages que sa réalisation peut provoquer, même si on identifie mal le moment où il peut survenir.
Le principe de précaution peut être mobilisé quand l’état des connaissances scientifiques est moins avancé, même si un doute persiste quant à l’existence même du risque.
Mais il y a un écart entre la conception militante du principe de précaution, défendue par les associations environnementales et le principe inscrit dans les textes et appliqué par les juges. On peut identifier deux malentendus : le premier sur la portée du principe de précaution et le second sur son application par les juges.
Les associations environnementales pensent souvent que précaution est synonyme de « dans le doute abstiens-toi », que le principe de précaution exige que l’on interdise toute activité dont l’innocuité n’est pas établie. Les industriels, les économistes et une partie de la communauté scientifique comprennent ce principe de la même façon, mais n’en tirent pas la même conclusions sur son bénéfice. Ils condamnent le principe considérant qu’il est un frein à la recherche, qu’il est vecteur d’attentisme...
Mais le droit ne dit pas la même chose. En droit, le principe de précaution n’est tout d’abord mobilisable que pour des dommages lourds, très lourds, voire irréversibles. Ensuite, le risque doit être crédible, plausible. Il doit pouvoir faire l’objet d’un « début de preuve ».
Surtout, le principe de précaution ne vaut pas forcément suspension ou interdiction comme le pensent les environnementalistes. Les textes comportent tous une référence à la proportionnalité de l’attitude de précaution. Quelques simples mesures peuvent suffire en droit pour réduire le risque (distances de sécurité plus importantes, recours à plusieurs experts...). La précaution en droit n’exige pas nécessairement que la production cesse ! Tous les rapports de l’Assemblées Nationale, du Sénat, du Conseil d’Etat, de la Commission européenne... le disent et le redisent ! On peut même aller plus loin. Le principe de précaution n’exige pas de choisir la mesure la plus proche du risque zéro. Ce point n’est pas toujours très clair. Il le devient quand les textes font expressément référence au coût économiquement acceptable, ce qui veut bien dire qu’il existe des risques résiduels acceptables. Et même si cette référence au coût de la précaution n’est pas toujours expresse, la question est toujours posée. Et au-delà de cette considération purement comptable, ceux qui appliquent le droit considèrent que le principe de précaution n’implique pas d’opter pour la mesure la plus proche du risque zéro, mais pour la mesure qui présente le moins de dangers au vu des bénéfices collectifs attendus de la prise de risque.
Donc, en droit, le principe de précaution est plus hésitant, plus nuancé que ce qu’attendent les militants. C’est pourquoi il est peu probable que les juges soient très offensifs sur ce sujet !
Les associations demandent au juge qu’il censure les autorisations permettant des prises de risques excessifs, contraires au principe de précaution selon elles. Mais sur ce terrain, les requêtes associatives sont plus souvent rejetées que reçues. Les cas d’annulations d’autorisations administratives pour violation du principe de précaution sont très rares.
Mais cela vaut également en sens inverse. C’est-à-dire que le juge n’annule pas plus sur recours des industriels les refus d’autorisation d’exploiter pour violation du principe de précaution (l’industriel estimant que l’usage du principe est mal fondé). Autrement dit le juge n’aime pas plus dire qu’il y a eu trop de précaution que pas assez de précaution. Il laisse essentiellement aux autorités administratives le soin de décider de la conduite de précaution à tenir face à l’incertain.
Carole Hermon est enseignante de droit de l’environnement à la faculté de Toulouse dans le cadre du forum des cinq ans de l’explosion d’AZF.