Échange autour de documents reçus sur nos listes de diffusion sur les effets de la déréglementation du prix de l’énergie - été 2007
La déréglementation de la distribution de l’énergie électrique est une bonne opportunité pour discuter de son usage et de sa répartition...
Il y a fort à parier que ce sujet va considérablement diviser les écolos tout autant que l’agro gas oil, l’éolien industriel et la bouffe bio de supermarché... Mais bon, sans débat, il n’y a pas de passage possible vers la raison...
Et puis comme il y a parfois du trouble confusionnel entre "radicalité" et "exigence éthique", il y a intérêt à justifier son point de vue, histoire de fonder la discussion dans le rationnel.
Je sens que je ne vais pas me faire des amis mais ma position est à peu près complètement à l’opposé des documents reçus ces derniers temps. Vive la libéralisation du prix de l’électricité, selon moi !
Si l’électricité est si peu chère en France sous le monopole d’EDF, c’est qu’elle est produite aux quatre cinquième par le nucléaire. Cette industrie mi-militaire-mi-civile ne prend pas en compte le financement public de la recherche, ni celui du retraitement des déchets, pas plus le démantèlement des centrales, et encore moins les atteintes à la santé publique nationale ou planétaire par le biais de la prolifération. Faisant abstraction de tous ces coûts "accessoires", l’électricité édéeffienne est très bon marché. Si l’on affectait au prix de l’électricité le coût du soin des irradiés de Tchernobyl ou de la guerre en Irak, déjà le prix de l’électricité verte serait moins différent de celui de l’électricité grise.
Comme notre société a les yeux rivés sur le guidon du pognon, et comme nous croyons que le prix des choses reflète à lui seul l’entière problématique du système "production-distribution-consommation", nous ne voyons dans la hausse du prix de l’énergie que l’impact que cela aura sur notre budget quotidien. Et pourtant cet impact est bien plus large.
J’ai dit plus haut "vive la libéralisation". Evidemment j’éxagère. Je veux dire "vive la vérité sur les prix de l’énergie". Un mode de production public me paraît mille fois préférable au capitalisme qu’il soit régulé ou sauvage, bien entendu. Mais je dois dire que j’ai envie d’être un peu moqueur à l’égard de ces indolents consommateurs d’énergie qui ne voient pas plus loin que leur compteur et qui réclament toujours plus pour toujours moins cher. En somme qui veulent faire travailler plus leur machine pour moins cher.
Le kilowatt.heure (unité de travail) électrique est vendu deux cent fois moins cher que le kilowatt.heure humain. (on a un kWh de travail produit par la machine, amortissemeent compris, pour un tiers d’euro environ, il faut trois heures de salariés à 20 euros/heure, charges comprises pour avoir son équivalent en travail humain). Quand il y a du béton à brasser, de la terre à travailler, des paquets à transporter, etc... c’est à dire que quand il y a du travail physique à mettre en oeuvre, les décideurs des entreprises ont le choix entre embaucher un salarié ou acheter une machine et la connecter chez EDF ou chez Total.
Résultat, une machine est deux cent fois plus rentable qu’un ouvrier quand elle est électrique, cent fois plus quand elle tourne au pétrole. Faudrait être fou pour embaucher un salarié ! (d’ailleurs ils ne le font pas). Ou alors faut embaucher un salarié dans un pays où les kilowatt.heure de salariés se rapprochent du prix du kilowatt.heure électrique (ah ça oui ils le font...).
Il est tout à fait étonnant que dans une société où des millions de personnes sont à la recherche d’un emploi, on cherche encore à baisser le prix de l’énergie de la machine alors que cette énergie (dont personne ne peut contester l’immense gaspillage qui est en fait dans les pays "développés") est le concurrent direct de l’emploi des humains, et que plus le prix de l’énergie baisse et moins il y a d’emploi disponible.
En résumé, l’énergie électrique pas chère, c’est être assuré du gaspillage (en 2003 à la mi-août alors que la canicule sévit, le parking vide du collège voisin est éclairé toutes les nuits pendant que des types s’ingénient à tenter de refroidir les centrales nucléaires et que l’eau de la Garonne est à 32°...) et du chômage !
D’accord mais beaucoup de gens ont des situations énergétiques très tendues et si l’énergie de la machine augmente, ils vont se retrouver étranglés financièrement !
ben oui, si le prix de la cocaïne augmente, il va y avoir des diffficultés chez les dépendants... Faut-il pour autant faire baisser le prix de la cocaïne ?
1) colmater les énormes brèches.
Il y a en France dix millions de logements qui ont une note d’énergie supérieure à 2 500 € (deux mille cinq cents euros) par an avec 60% pour le chauffage, dont trois millions de logements dépensent plus de 4 500 €. Si l’électricité, le pétrole ou le gaz prennent 50% d’augmentation, ces ménages vont se trouver avec une note augmentée de 750 à 1 350 euros. Beaucoup de ces ménages font déjà partie des ménages surendettés et sont soutenus par les régions ou les départements. Où trouveront-ils donc les moyens de ne pas mourir de froid l’hiver prochain ? Ces logements sont généralement aussi de mauvais logements pour l’été, la canicule y fait des ravages. Devant ce constat, baisser le prix de l’énergie est-ce la bonne action politique ?
À mon avis, il serait plus profitable pour le long terme de premièrement lancer un gros chantier de réhabilitation thermique de ces logements. Deuxièmement, doubler le prix de toute l’énergie, ou le tripler au compteur EDF, à la pompe, chez le marchand de gaz... Y compris, bien évidemment, le décuplement du gas oil des avions qui est à l’heure actuelle complètement sans taxe, ceci afin de trouver les moyens de réhabiliter ces logements mal isolés. Troisièmement, reverser les surplus payés par tous les consommateurs aux ménages en difficultés énergétiques jusqu’à ce que leur logement soit isolé afin qu’ils puissent survivre en attendant.
2) passer à une société mondialement économe en énergie et à faible impact environnemental en commençant par balayer devant notre porte
Comme on le voit, l’urgence de la remise en question de la répartition de l’énergie dirigée seulement par l’argent l’emporte largement sur toutes les autres questions dites techniques, et ma proposition équivaut à faire payer des impôts sur l’énergie aux consommateurs aisés pour que les pauvres puissent y avoir accès. Les riches vont donc être associés à un meilleur investisssement dans le logement social dans lequel résident les pauvres ! En terme de mixité sociale, c’est déjà une marche dans le bon sens.
Autre avantage, si l’énergie prend un gros coup d’augmentation, les énergies renouvelables vont se sentir pousser des ailes ! Si on annonce en plus clairement et à l’avance que cette augmentation est non seulement inéluctable mais qu’ellle n’en est qu’à son début, les décideurs économiques vont pouvoir prendre des bonnes décisions rapidement ! Faut-il préciser que rénover dix millions de logements va créer énormément d’emploi chez les architectes, les bureaux d’études thermiques, les bailleurs sociaux, les entreprises de construction, les fabricants et distributeurs de matériaux, les centres de formation ?
Si on ajoute que cette rénovation a aussi intérêt à se faire avec des techniques et des matériaux écologiques, issues principalement des filières agricoles ou forestières, on voit que des filières cohérentes basées sur des produits d’origine végétale et de proximité (paille, chanvre, lin, laine, bois..) peuvent se mettre en place comme la filière béton s’est mise en place dans les années cinquante avec la reconstruction d’après guerre. On créera donc des emplois partout en ville et à la campagne...
3) en profiter pour penser un autre monde puisqu’il est possible.
Les pauvres d’ici sont malgré tout des riches comparés à beaucoup d’habitants de cette planète. Et si ce n’était pas la réalité, il n’y aurait pas tant de cadavres d’Africains abandonnés aux requins de la méditerranée. La consommation moyenne d’énergie dans le monde équivaut à une grosse demi-tonne d’équivalent pétrole par habitant. En France toutes catégories sociales confondues nous en sommes à 4 ou 5 tonnes par habitant soit environ huit fois la moyenne mondiale. Si nous pouvons nous permettre une telle arrogance, c’est parce que la prédation des occidentaux sur le reste du monde est bien organisée. Cela s’appelle le commerce mondialisé, qui va croissant depuis cinq siècles. Il a vraiment démarré avec le pillage des matières premières et l’exploitation du travail humain des colonies.
Là s’origine le capital qui nous a lancé sur la trajectoire prestigieuse de l’industrie et du commerce au loin. Ces vieilles cartes, privilèges des "grandes nations", doivent être redistribuées, maintenant, de façon équitable. Il ne faut plus qu’il y ait de pauvres ni ici ni ailleurs. Et si nous souhaitons qu’un futur soit possible pour tous, il faut arrêter ici de jeter l’énergie par les fenêtres, l’utiliser à bon escient, en concertation et en coopération avec tous les habitants de la planète.
4) un avenir pour le futur
Comme bien sûr cela relève du rêve, et comme nous, ici dans les pays dui Nord, ne sommes pas capables de nous retenir de tout bouffer (et c’est pas avec le Petit Nicolas que ça va changer), il est assez urgent de passer à un coût élevé de l’énergie afin de comprendre par exemple la situation des Européens de l’Est, des sud-Américains ou des Africains, pays dans lesquels le kWh pétrole ou électrique est bien supérieur au notre ici. La vraie question, c’est partout dans le monde : avec la rémunération d’une heure de travail humain, combien un Malien, un Thaï, un Péruvien, un Roumain, etc. peut-il se payer de litres de pétrole ou de kWh électriques dans son pays ? Quand tout le monde pourra se payer autrant de kWh électriques ou pétroliers en ayant travaillé une heure, on pourra "s’arrêter, regarder, réfléchir et trouver que c’est pas triste..."
Alain Marcom
Alain, l’embêtant dans ton truc, c’est que bien sûr notre merveilleuse société préfèrera que des milliers de pauvres meurent de froid ou de chaud, ça fera moins de chômeurs et de vieux, donc moins de "parasites", plutôt que de craquer du pognon, actuellement judicieusement placé en bourse, pour leur rendre la vie plus confortable
mais bon...
À part ça, c’est vrai que c’est le même débat qu’avec "manger bio c’est cher" ; c’est pas le bio qui est cher, c’est le polluant qui est subventionné pour polluer et pour faire chuter les cours et mourir les vrais paysans ; et quand je mange bio, c’est sûr qu’à travers mes impôts je continue de subventionner le polluant et que donc je paie deux fois ; mais alors, quelle solution ? personnellement, je ne supporte plus de collaborer au nucléaire via ma note edf, même si cette contribution reste modeste au regard de ma contribution involontaire via les impôts
Abandonner edf, surtout quand comme moi on croit au service public, c’est peut-être la seule façon qu’il me reste de mettre mes convictions en acte et de dire "le nucléaire, y’en a marre", tant que je suis locataire et qu’on tente de m’imposer le "tout électrique"
Catherine, bien contente d’avoir acheté un petit poêle à bois
Catherine, les pauvres, les chômeu-r-se-s et les RMIstes restent des consommateur-trice-s. En leur donnant des subsides, elles-ils deviennent d’efficaces membres de la société marchande. Par exemple les RMistes, dont le budget (ensemble) avoisine les cinq milliards d’euros annuels, représentent 0,3% du PIB français. Si tu ajoutes à cette somme le salaire et les différents frais versés aux personnes de l’administration qui s’occupent des RMistes, si ça se trouve on passe les 0,5%. Certes, c’est pas avec ça que l’on va dépasser le taux de croissance chinois, mais pour les propriétaires-actionnaires de supermarché "hard discount", pour les fabricants de bouffe rapide, pour les propriétaires d’appartements de mauvaise qualité, si jamais tu supprimes le RMI, ça va grincer des dents. Et si tu ôtes 0,5% à nos gouvernants acharnés de la croissance, tu vois d’ici le désespoir pour eux, qui se battent entre experts sur un dixième de point.
On pourrait rajouter que la somme versée à chaque allocataire, environ un million d’ayant droit, est tellement dérisoire que le statut de RMIste sert de repoussoir aux personnes insatisfaites de leur conditions de boulot, mais qui "ont un emploi" et ont peur de le perdre. S’ajoutent donc la "vertu" socio-psychologique de stabilité du pays, et la "vertu" économique de l’activité marchande.
Le problème politique de l’écologie, je crois, c’est qu’elle ne prends pas à bras le corps la question de la répartition des biens et des richesses. En théorie, en France, tout le monde a le droit d’avoir du chauffage solaire par exemple. En pratique, seule une minorité y a accès. Le tamis qui sépare le "tout le monde" de "cette minorité", c’est le nombre des euros disponibles, ce qu’on appelle la solvabilité. En effet, c’est l’argent qui fait la sélection, et non pas comme on voudrait nous le faire croire la raison, le bon sens, ou le libre arbitre, toutes choses qui reposent beaucoup sur la qualité de l’information.
Pour caricaturer, et selon mon point de vue, je dirais qu’il y a deux voies pour l’écologie politique : soit elle promeut des solutions techniques sans changer l’ordre inégaliterre d’accès aux biens, auquel cas, elle se trouve déconsidérée par une critique sociale ("les écolos sont des bourgeois qui ne pensent qu’à leur confort personnel") et surtout pour le coup elle est amenée à co-gérer l’innommable situation actuelle de la planète. On le voit dans le résultat du travail microscopique des Verts au gouvernement de la gauche plurielle. On en perçoit de plus en plus la limite aujourd’hui. C’est, en résumé, se résigner à ce que l’écologie devienne un créneau marchand de l’économie telle qu’elle fonctionne actuellement.
Soit l’écologie politique énonce clairement que la répartition des richesses fait partie du problème autant que les atteintes physico-chimiques à l’environnement, en quelque sorte que l’économie fait partie de l’écologie, et doit être incluse dans ses débats, et là les acteurs de l’écologie politique sont obligés de considérer que l’urgence, c’est bien de résoudre l’épineuse question de la répartition, parce que bonjour l’immensité du chantier ! Il y a ,en effet, beaucoup plus de propositions technologiques marchandes en circulation que de propositions humaines et sociales pour sortir du marasme inégalitaire. L’écologie politique est, par la même occasion, logiquement invitée à désigner ceux qui sont un frein dans l’évolution vers une société plus respectueuse de l’environnement. Elle est tout aussi logiquement invitée à promouvoir des méthodes d’analyse-réflexion-décision bien plus fondées sur une information fiable.
La conséquence de cette orientation est que l’écologie politique doit d’abord oeuvrer à la démocratie. Je veux dire par là un système politique dans lequel il n’y a pas de "plus égaux que les autres". Ni les experts, ni les puissants économiques, ni les puissants politiques, ne doivent pouvoir décider sans l’ensemble des humains concernés. L’écologie politique a donc comme mission première d’informer, de débattre et de proposer à la société des pistes pour une sortie durable de la crise, mais elle doit tout autant aider les plus modestes à acquérir l’estime de soi suffisante pour élever la voix afin d’exiger un plus juste monde, à diffuser des méthodes de débat démocratiques même et surtout dans les milieux où cette culture est très éloignée du quotidien. Il s’agit de nourrir la réflexion, de la rendre commune, et de participer à la création d’un cadre de discussion dans laquelle "tout le monde" aura effectivement son chauffage solaire et sa voix au chapitre.
Pour en revenir plus précisément aux pauvres que la société préférera voir mourir de froid... Je pense que la société ne préfère pas ça. Seuls, quelques puissants économiques ou politiques sont capables de le préférer. D’une manière très générale les membres de la société française sont plutôt très attachés à la solidarité (voir ce qui s’est passé avec les Enfants de Don Quichotte au printemps). La question ici, c’est bien plutôt dêtre en capacité de trouver à soixante millions une solution commune durable. Et c’est là que ça coince, à mon avis, parce qu’il manque une réelle culture du débat, de l’analyse, de la décision et de l’engagement, qui soit partagée par tou-te-s.
Areso peut tout à fait être un laboratoire social de cette démarche. Discuter ici d’une taxe carbone et d’un système de cotisation selon les revenus ou selon les dépenses énergétiques de chacun-e, pourquoi non ?
À bientôt, Alain.