LOI DU GRENELLE : de la croissance, encore de la croissance, toujours de la croissance...
Le projet de loi issu du Grenelle de l’environnement qui sera examiné à l’automne par les parlementaires donne la dimension de l’engagement écologique de l’état français. Il suffit de lire l’exposé des motifs du projet de loi pour comprendre aisément quelle est la teneur du sentiment environnemental de nos dirigeants.
Ce projet commence plutôt bien par un paragraphe liminaire nommant les deux constats fondamentaux largement partagés par les diverses parties prenantes du Grenelle. (..)Le premier est celui des risques liés à la dégradation de l’état de la planète, (...) le second constat partagé est celui de l’urgence. Le gouvernement semble donc avoir bien entendu que la planète va mal et qu’il faut se dépêcher de prendre des mesures....
(...) Il s’ensuit une double conséquence : D’une part (...) alors que la population planétaire augmente et que le niveau de vie moyen s’élève presque partout, les ressources considérées depuis longtemps comme abondantes et pérennes deviennent plus rares et incertaines : les énergies fossiles, l’eau potable, les terres fertiles, les systèmes vivants robustes, etc. Aujourd’hui, le renchérissement des énergies et de l’alimentation pèse sur le pouvoir d’achat.
(...) D’autre part, les secteurs d’activité les plus dynamiques comprennent d’ores et déjà que leur capacité à réduire ces dégradations, à alléger les pressions sur les écosystèmes et à absorber les impacts déjà inévitables du changement climatique, sera rapidement la base de leurs avantages concurrentiels.
Il devient donc assez clair dès la page 3 du projet de loi que, dans les tensions prévisibles pour les prochaines décennies entre les modes de vie des humains et l’écosystème planétaire, ce qui intéresse le gouvernement français, ce sont principalement les conséquences économiques, et plus précisément les opportunités françaises de se sortir de la future crise marchande.
En conclusion du chapitre sur l’exposé des motifs...
Une loi pour une économie écologique.
En se fondant sur le consensus social forgé par le processus du Grenelle de l’environnement, le projet de loi entend favoriser et accélérer la prise en compte de ces nouveaux défis par tous les acteurs, simultanément, grâce à la mobilisation cohérente des moyens disponibles, afin de garantir à la société et à l’économie un fonctionnement durable, et de préserver sur la durée le pouvoir d’achat des ménages. La réalisation des investissements correspondant à ces objectifs pourra susciter une importante activité supplémentaire pouvant atteindre plusieurs centaines de milliers d’emplois dans des secteurs à forte intensité de main d’oeuvre et faiblement affectés par les délocalisations. Ainsi, grâce à la généralisation des contrats de performance énergétique adossés à des mécanismes de financements innovants, le coût des travaux de rénovation sera lissé sur plusieurs années et sera, en large partie, financé par les économies d’énergie résultant des ces travaux. Les ménages et les entreprises bénéficieront ensuite pleinement de la totalité des économies d’énergie : leur revenu disponible sera augmenté d’autant.
(...) Par ailleurs, les investissements correspondant aux objectifs de ce projet de loi permettront aux entreprises concernées de trouver des relais de croissance significatifs dans des segments de marché à forte valeur ajoutée (efficacité énergétique et équipements intelligents de production et de gestion de l’énergie). Ainsi, en donnant aux entreprises françaises en pointe sur les marchés du bâtiment des perspectives de développement nouvelles, la mise en oeuvre des objectifs de la présente loi soutiendra leur positionnement sur des marchés stratégiques à moyen terme dont elles bénéficieront ensuite à l’export dans tous les pays qui sont en train de mettre au point de nouvelles normes pour la construction et la rénovation de bâtiments.
Peut-on être plus clair ? Equiper les logements de chauffage solaire et d’isolation performante, ce n’est ni pour le confort des habitants, ni pour la réducation des émissions de gaz à effet de serre, c’est pour la compétition économique ! Le crash environnemental à venir n’est pris en compte que sous l’angle de son impact sur l’activité économique des entreprises françaises et de leurs clients. On ne peut cependant pas s’étonner : “la croissance, j’irai la chercher avec les dents” avait-on pu entendre pendant la campagne électorale de 2007.
On peut nous faire remarquer ici que peu importe que ce soit pour des raisons marchandes qu’on isole les logements, si c’est fait et que c’est efficace. Certes, mais tout d’abord si c’est vraiment le cas, pourquoi ne pas le faire pour des raisons d’abord environnementales puis éventuellement marchandes, et d’autre part, malheureusement, si la future loi Grenelle s’annonce sous une parure marchande, il y a de fortes chances pour que ce ne soit pas par hasard...
En effet, tout le monde est d’accord pour que les bâtiments soient mieux isolés. Là dessus la recommandation est unanime. Mais sur les techniques mises en oeuvre, selon qu’il s’agit d’une volonté environnementale ou d’une volonté marchande, les prescriptions vont quand même être différentes.
La voie promue par la loi grenelle s’appuie sur la filière industrielle de l’isolation. Le rythme d’amélioration de l’efficacité énergétique du bâtiment neuf comme de l’existant se calera à la fois sur la capacité de production des industries, sur les capacités de financement privées des banques et sur la capacité du milieu professionnel à se former aux nouveaux standards.
Mais une autre voie possible est de s’appuyer aussi puis de plus en plus, sur les écomatériaux, le soutien financier de la collectivité et l’autoconstruction. On peut en effet isoler le neuf comme l’existant avec de la paille, financer ces améliorations énergétiques avec un engagement de l’état et utiliser la main d’oeuvre des habitants volontaires, qu’ils soient professionnels ou non. Une telle stratégie serait plus rapide à mettre en oeuvre, donc en économie cumulée d’énergie dans le temps, l’objectif de mettre en oeuvre le facteur 4 serait atteint plus rapidement. Il permettrait aux ménages les plus défavorisés, souvent logés dans les immeubles les moins efficaces thermiquement, de sortir plus vite de la pauvreté énergétique. Il économiserait une quantité non négligeable d’énergie en évitant la fabrication d’isolants industriels, et serait un formidable puits fixateur de carbone.
Sur ces deux derniers points, l’énergie incorporée et l’émission de gaz à effet de serre, indicateurs d’un authentique souci écologique, en considérant qu’il faut en moyenne très approximative 250 m2 d’isolation (murs et toiture) par logement, que l’on construit 400 000 logements par an, et si l’on compare deux propositions industrielles (27 cm de laine de verre et 25,5 cm de polystyrène extrudé) et une proposition végétale (35 cm de paille en bottes), toutes trois ayant une résistance thermique R=6,7, on obtient les résultats suivants pour une année :
L’on voit donc ici que la proposition végétale économise au moins 250 mille tonnes d’équivalentpétrole par rapport à la moins couteuse en énergie des propositions industrielles. En outre, si l’on isole en paille, non seulement on évite au moins l’émission de 370 mille de tonnes de gaz carbonique , mais on en fixe 5,7 millions de tonnes que la paille a capturées pour sa croissance. En rapprochant cette valeur des 123 millions de tonnes de CO2 émises, selon la loi Grenelle, chaque année en France par l’usage du bâtiment, on peut se rendre compte de l’intérêt non négligeable qu’il y a à s’interroger sur une stratégie uniquement industrielle...On peut noter que la paille est une ressource dès aujourd’hui abondante, puisqu’on en produit 40 millions de tonnes ( 2005) en France et que le besoin pour la construction neuve serait de 5 millions de tonnes environ.
Aux rêveurs d’un Grenelle comme réplique de la révolution de 1789 aboutissant à une déclaration universelle des droits de l’environnement, le message adressé est plutôt : “le changement climatique, combien d’euros ?”.... de profit. Certes “faire de la politique, c’est faire de l’inévitable, l’utilisable”, mais la posture du gouvernement est plutôt arrogante et cynique, particulièrement pour les lanceurs d’alerte environnementaux qui depuis quarante ans dénoncent une économie ravageuse d’environnement. C’est d’autant plus consternant que ceux-là mêmes qui ont dénié longtemps toute implication de l’économie dans la dégradation de l’environnement, maintenant prétendent avoir trouvé la réponse à un défi dont ils sont en grande partie responsables.
Alain Marcom