Nous avons été alerté, le 30 novembre dernier, par une actualité de la lettre d’information du bâtiment "Batiactu", titrant : "Info du jour - Le chauffage bois de nouveau épinglé pour ses émissions polluantes" .
Cette actualité résumait un article du journal "Le Monde" du 28 novembre dont le titre était on ne peut plus évocateur : "Pollution : les particules les plus toxiques seraient celles issues du chauffage au bois et de l’usure des freins et des pneus" .
Las, nous avons décidé d’en savoir un peu plus, en ces temps où la RE 2020 suscite de nombreux débats entre filières, en particulier dans le domaine du chauffage, chacune accusant les pouvoirs publics de favoriser les concurrentes (spécifiquement gaz, électricité, biomasse/bois).
La source essentielle est un communiqué de presse, daté du 18 novembre, du Paul Scherrer Institut (PSI) installé en Suisse ( "Quelles sont les particules fines les plus dangereuses pour la santé ?" ), qui énonce les résultats d’une recherche publiée dans Nature (article de 20 pages dont le titre, en français, pourrait être "Sources d’aérosols en Europe et leur potentiel oxydant", et qui contient la phrase-clé ayant provoqué l’attaque contre le chauffage au bois :
Le Monde a interrogé des participant•es à la recherche, mais également des chercheur•es étrangères à celles-ci, telle une directrice de recherche de l’INSERM, qui assène : "Nous pouvons tirer deux enseignements importants de cette étude : le premier est que les pouvoirs publics doivent accentuer la lutte contre les émissions du trafic routier au sens large, le second est qu’ils ne doivent plus encourager le développement du chauffage individuel et des centrales collectives au bois" . Et un radiologue, membre du Collectif Air-santé-climat, qui attaque : "Alors que tous les articles scientifiques convergent pour dire que les particules de combustion notamment du bois et de la biomasse sont les plus toxiques, le ministère de la Transition écologique persiste et signe et va interdire le chauffage au gaz et promouvoir notamment la biomasse" .
Trêve de tergiversations, il était temps de s’adresser directement à l’une des contributrices de la recherche et de l’article de Nature, Mme Gaëlle UZU, travailant, entre autres, à l’Institut des Géosciences de l’Environnement (IGE) de Grenoble. Voici le résultat de nos échanges :
"Bonjour Madame,
Membre d’une association de promotion des valeurs et des enjeux de la construction écologique, je me permets de vous solliciter car j’ai eu vent de votre publication par le biais d’un article de Batiactu, lui-même s’appuyant sur un article du Monde que je n’ai pu lire entièrement, n’étant pas abonné. Tous deux incriminant le chauffage au bois (au moins dans le titre pour Le Monde) sans distinction de mode de combustion, je suis allé m’informer auprès de l’organisme cité dans les écrits. Son communiqué de presse mentionne effectivement le chauffage au bois.
Cependant, pendant mes recherches je suis arrivé sur un article de Sciences et Avenir (accessible entièrement après avoir visionné une publicité), qui, citant votre organisme de recherche et vous-même, donne plus d’informations :
"Ce résultat conforte les actions des plans de protection de l’atmosphère (PPA) menés dans les 11régions françaises où les pics de pollution sont importants et qui tentent de réduire l’utilisation des cheminées à foyer ouvert, les poêles et inserts fermés réduisant les émissions d’un facteur 100."
Cela m’a incité à tenter de lire l’article de Nature (impossible sans abonnement) puis le communiqué de presse IRD sur le site de l’IGE, qui parle également simplement de "feux de bois". L’IGE étant me semble-t-il une référence sur la pollution atmosphérique et en particulier sur les fumées de chauffage au bois, il m’a paru judicieux de vous demander de m’éclairer sur la nocivité du chauffage au bois, quelque soit le type de foyer utilisé (ouvert ou fermé) ? D’autre part, je serai intéressé de connaître votre position sur l’usage fait des résultats que vous avez participé à obtenir pour tirer des conclusions pour le moins hâtives sur la nocivité de l’usage de la biomasse pour le chauffage.
Vous remerciant par avance de votre réponse, je vous prie, Madame de bien vouloir accepter mes salutations respectueuses"
"Bonjour,
Je vous remercie pour votre message. Malheureusement l’article du Monde, qui a été ensuite relayé dans Batiactu, nous porte préjudice quant aux déclarations à l’emporte pièce sur le chauffage au bois d’une épidémiologiste qui n’est pas co-auteure de l’étude. Ces propos n’engagent que cette personne et en aucun cas les auteurs de l’étude.
Je vous joins l’article Nature [1] où vous verrez que nos conclusions étaient beaucoup plus mesurées (sans par ailleurs rentrer dans les détails des politiques publiques). Nous avons justement fait des projections en 2030 à la fin de l’article sur le remplacement des appareils de chauffage peu performants qui permettraient de réduire d’un facteur 2 les émissions liés au chauffage au bois.
Une cheminée ouverte émet autant de particules que 30 à 100 (cela dépend des appareils et des étoiles accordées aux appareils) poêles à bois labellisés flamme verte et ces nouveaux poêles permettent de diminuer de façon notable les particules. Si ces solutions ne sont pas parfaites car il est évident que l’énergie la plus verte est celle que nous n’utilisons pas, elles sont pour le moment le meilleur levier que nous ayons sur les foyers ouverts (un levier qui donne un effet divisé par 30 est un très bon levier !!) en attente d’autres solutions encore plus vertes.
De la même façon, les centrales "collectives" au bois sont très surveillées et avec des émissions filtrées/contrôlées qui diminuent encore plus de façon drastique les particules que sur les chauffages individuels (mais ces dispositifs ne sont pas adaptables sur des poêles individuels car ils coûteraient plus cher que le poêle en lui même et ne fonctionnent bien qu’avec des énormes quantités de combustible).
Un association a aussi pointé l’interdiction du chauffage au gaz. Mais le bois énergie émet 26 g/kWh de CO2 contre 234/274 pour le gaz, 300 pour le fioul et jusqu’à 600 pour l’électricité et on sait tous que l’on doit diminuer drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre.
Finalement le bois a l’avantage d’émettre le moins de CO2 et les émissions de particules sont en train d’être résolues / contrôlées pour les poêles nouvelle génération, aussi, on ne peut pas dire que ce soit le plus mauvais élève des moyens de chauffage (mais c’est vrai qu’il faut bannir les cheminées ouvertes qui ont des rendements très faibles aux alentours de 15% pour des émissions très fortes aux alentours de 700mg/ m3 contre 25-30 mg/m3 pour les derniers poêles) Concernant la toxicologie , c’est plus le domaine de mes collègues, mais néanmoins la nocivité des émissions liées au chauffage sont connues depuis très longtemps. En toxicologie, on dit aussi que c’est la dose qui fait le poison et donc plus on diminue les émissions avec des technologies "propres", plus les choses iront dans le bon sens.
Bien cordialement
G.Uzu"
Notons que l’article initial de Batiactu n’est plus accessible en l’état, son titre a été modifié le 30 novembre (nouveau titre :"Chauffage au bois et émissions : il y a pollution “quand la combustion n’est pas bonne”"). Il a été augmenté d’une réponse du Syndicat français des chaudiéristes biomasse (SFCB), qui argumente sur la qualité des appareils de chauffage, les cheminées à foyer ouvert et les appareils datant d’avant les années 2000 dégageant davantage de particules fines que les nouveaux appareils (que ce soit à bûches, palets ou granulés). Il rappelle aussi les émissions bien moindres de CO2 de la combustion du bois que celles du fioul, du gaz et même du chauffage à l’électricité.
Le Monde et les recenseurs de ses écrits, ainsi que l’Institut Paul Scherrer ont-ils réagi aussi vite (et honnêtement) que Batiactu ?
P.S. : quant aux particules toxiques émanant des pneus des véhicules automobiles, elles semblent bien avoir un impact bien supérieur au chauffage au bois, mais c’est un autre combat...
[1] Cet article de 20 pages (en anglais) peut être envoyé en en faisant la demande par courriel à ARESO